Le cannabis deviendra-t-il un jour un médicament en France ?

Le gouvernement repousse le moment du choix, à la déception de patients, de certains médecins et d’élus, y compris de la majorité.

« On est un peu face au mur », a regretté jeudi 6 octobre 2022 la députée macroniste Caroline Janvier, n’hésitant pas à critiquer le gouvernement lors d’une conférence en compagnie d’élus de divers bords, d’addictologues et de patients. « Je regrette vraiment que sur ce sujet (…) on entende davantage le ministère de l’Intérieur que le ministère de la Santé », a insisté Caroline Janvier.

Le cannabis est déjà autorisé dans de nombreux pays européens pour calmer la douleur et l’anxiété de patients atteints de cancer et d’autres maladies. C’est aussi le cas en Israël ou plusieurs Etats américains, tandis qu’au Japon, un groupe d’experts gouvernementaux vient de recommander son autorisation.

Expérimentation prolongée, La France envisage depuis des années d’approuver le cannabis médical.

La France envisage depuis des années d’approuver le cannabis médical. Mais cette perspective s’est récemment éloignée, le gouvernement ayant discrètement décidé de prolonger une « expérimentation » menée depuis bientôt deux ans. Celle-ci avait débutée fin mars 2021, devait aboutir fin mars 2023 et, potentiellement, déboucher sur une généralisation de l’usage de cannabis médical, c’est-à-dire sa prescription possible par l’ensemble des médecins dans des indications bien précises.

L’expérimentation « va être prolongée », a déclaré lundi le ministre de la Santé, François Braun, en marge d’un déplacement au Mans, confirmant des propos tenus quelques jours plus tôt lors d’une audition à l’Assemblée nationale sur le projet de budget de la Sécurité sociale. « On n’a pas le nombre de patients suffisants pour tirer les conclusions », a justifié le ministre.

3 000 patients espérés

Frilosité excessive ? Un fait est objectif : l’expérience, qui devait inclure 3 000 patients, et il en manque 1 000 par rapport aux objectifs fixés. L’argument, pour autant, agace les promoteurs du cannabis médical, parmi lesquels plusieurs associations de patients ainsi que des médecins, souvent addictologues.

Ils relèvent que l’expérience ne vise pas à prouver le bien-fondé thérapeutique du cannabis médical, mais à montrer que son usage est possible à grande échelle dans le système de santé français. « C’est arbitraire, 3.000, c’est un calibrage financier », a balayé, lors de la conférence de jeudi, le psychiatre Nicolas Authier, qui pilote scientifiquement l’expérimentation sous l’égide de l’agence du médicament (ANSM).

Le débat médical persiste

Comme d’autres médecins, Nicolas Authier juge l’intérêt médical du cannabis bien établi, et donc plus à discuter. Ce consensus n’est pas total. L’Académie de pharmacie, suivie par celle de médecine, a régulièrement critiqué cette expérimentation, estimant qu’elle prenait un peu trop pour un fait acquis les bénéfices thérapeutiques du cannabis. La recherche appuie, elle, dans une certaine mesure, ces bénéfices.

La principale étude de référence, publiée l’an dernier dans le British Medical Journal (BMJ) et réalisée à partir de nombreux autres travaux, concluait que le cannabis médical permet d’améliorer de façon « limitée » ou « très limitée » la douleur ou le sommeil chez les patients souffrant de douleurs chroniques, notant cependant de fréquents effets secondaires.

« Une forme de tabou » liée aux débats sur la légalisation du cannabis en général

« On n’a pas dit qu’on avait découvert un miracle (ou) qu’on va donner des médicaments à base de cannabis à tout le monde », a nuancé Nicolas Authier. « Ce sont des médicaments qui sont utilisés (…) quand la médecine ne fonctionne pas mais que la souffrance est bien là ». Pour certains médecins ou élus, les hésitations du gouvernement obéissent moins à des considérations médicales qu’à un manque de courage politique, Caroline Janvier évoquant « une forme de tabou » liée aux débats bien plus larges sur la légalisation du cannabis en général.

Mais les pressions sur le gouvernement ne se situent pas uniquement sur ce terrain, elles proviennent aussi des – futurs – producteurs français de cannabis. « Les conditions ne semblent pas réunies à l’heure actuelle pour permettre un accès des patients aux médicaments à base de cannabis », a regretté la semaine dernière l’organisation Santé France Cannabis, regroupant les principaux acteurs du secteur, en renvoyant la responsabilité à l’« absence d’un cadre clair » posé par les autorités à la production de cannabis.

Source : Extraits d’article – 20 Minutes Santé